Accès au tunnel de base du Lyon-Turin : Emmanuel Macron veut imposer le « modèle Amish » aux Savoyards.
En 2019, près de trois millions de poids-lourds ont traversé les Alpes entre la France et l’Italie, plus de vingt vols ont survolé, chaque jour, les Alpes entre Milan et Paris, sans compter un trafic autoroutier en forte augmentation entre les Pays de Savoie, l’Isère et Lyon.
Pour répondre aux enjeux climatiques et éviter de nouvelles infrastructures autoroutières coûteuses -Contournement Autoroutier de Chambéry, élargissement de l’A43 entre la Tour du Pin et Chambéry, doublement du tunnel routier du Mont-Blanc et d’Orelle en Maurienne- deux enquêtes publiques, en 2006 pour le tunnel de base en Maurienne et en 2012 pour les accès entre Lyon et la Maurienne, ont permis de définir un projet de nouvelles lignes ferroviaires entre Lyon et Turin, en complément des lignes historiques du 19ème siècle, pour bâtir un réseau ferroviaire moderne, cohérent et performant pour les Alpes française en 2030.
Pas de souci pour le tunnel de base franco-Italien.
Depuis l’effondrement électoral du seul parti italien opposé au Lyon-Turin -Annexe 1-, les travaux avancent normalement des deux côtés de la frontière franco-italienne, laissant espérer une mise en service en 2030 du tunnel de base. Les Italiens se sont engagés à mettre en service, cette même année, les accès entre Turin et l’entrée du tunnel dans le Val de Suse.
Rien d’équivalent n’est organisé en France où l’objectif n’est manifestement pas de réaliser un projet intelligent, mais de saborder les accès pour réduire la performance de la nouvelle ligne ferroviaire...
En 2012, une grande enquête publique, avec 13 commissaires-enquêteurs, avait validé des accès plus sobres mais néanmoins très cohérents !
Il avait été acté d’abandonner :
- une nouvelle ligne à très grande vitesse (320 km/h) uniquement dédiée aux voyageurs entre Grenay et Avressieux.
- le second tube pour les tunnels sous Chartreuse et sous Belledone.
Le projet validé proposait pour le fret, une ligne à grand gabarit de bout en bout et pour les voyageurs, des trains à grande vitesse enfin concurrentiels à l’autoroute entre Lyon, les Pays de Savoie et Grenoble, et l’avion entre Milan et Paris :
- une nouvelle ligne mixte voyageur et marchandises à 200 km/h entre Grenay dans la banlieue de Lyon et Avressieux dans l’avant pays savoyard.
- un tunnel monotube à grand gabarit sous Chartreuse réservé aux marchandises.
- un tunnel monotube à grand gabarit sous Belledonne réservé aux marchandises.
- un tunnel bitube sous Dullin-l ’Epine adapté principalement pour les voyageurs (n’acceptant pas le gabarit P400 européen pour les marchandises).
Stratégie du gouvernement pour les accès : ne pas décider et reporter à plus tard !
Un journaliste spécialisé dans les questions de transport écrivait, en novembre dernier, à propos du Lyon-Turin :
"L‘État français n’a pas de stratégie ? Vous rigolez ? Ne pas décider et reporter à plus tard les échéances, ça nécessite une sacrée dose de stratégie…"
Un Etat champion de la manipulation et du mensonge par omission !
Remise en cause de l’enquête publique de 2012.
Le Préfet de Région en a donné une nouvelle preuve quelques jours plus tard, le 11 décembre, lors d’une réunion sur les accès au Lyon-Turin réservée aux seuls élus locaux. Pour des raisons soi-disant d’économies (réduire la facture des accès des 8 milliards prévus en 2012 à 5 milliards) et à la place du projet cohérent et validé en 2012, il leur a demandé de choisir, pour une mise en service après 2030 entre :
- un tunnel mixte voyageur et fret sous Dullin-L’Epine mais inadapté à un report massif des marchandises sur le rail.
- un tunnel avec un seul tube sous Chartreuse interdit au trafic voyageurs.
- la ligne historique datant du 19ème siècle.
Refus de prendre en compte les subventions de l’Europe.
Lors de cette réunion, les représentants du gouvernement se sont bien gardés de dire que, depuis deux ans, la coordinatrice européenne pour le corridor méditerrané répète sans cesse « Les accès sont aussi importants que le tunnel » et affirme que l’Europe est prête à subventionner les accès jusqu’à hauteur de 50%, tout en précisant que ce financement ne serait possible que s’il s’agissait de réseaux dimensionnés, à la hauteur des ambitions européennes d’interconnexion du continent.
Avec un nouveau projet qui garderait une section voyageur limitée à 90 km/h et pour le fret opterait pour un gabarit inférieur au gabarit européen P400 en vigueur partout ailleurs -annexe 3- , on est sûr que l’Europe ne mettra pas un centime dans cette réalisation !
Réunion en catimini.
Pour mieux manipuler et diviser les élus locaux au cours de cette réunion, il est à noter que les principaux usagers n’étaient pas conviés : les associations d’usagers des transports ainsi que les opérateurs ferroviaires et les syndicats.
Diviser pour mieux régner et saborder le projet.
En demandant aux élus locaux de choisir entre un tunnel sous Chartreuse ou sous Dullin-l’Epine, l’Etat est sûr de ne jamais avoir de consensus -Annexe 2- contrairement à l’enquête publique de 2012, ce qui lui donne encore une bonne raison pour ne rien faire !
Refus de prendre en compte les projets locaux pour le développement des trains du quotidien.
Dans la commission de la saturation de la ligne historique, les représentants de l’Etat refusent de prendre en compte les projets en cours : RER savoyard sur le bassin Aix-Les-Bains, Chambéry et Montmélian et doublement de la ligne ferroviaire entre Aix les Bains et Annecy.
De qui se moque-t-on ?
Le modèle « Amish »
L’objectif du gouvernement, pour alimenter le tunnel de base en 2030, est donc clairement le « modèle Amish» tant décrié par le Président de la République : l’utilisation de la ligne historique traversant Ambérieu, Chambéry et Aix les Bains, déjà saturée aux heures de pointe par les TER et conçue au 19ème siècle à l’époque des locomotives à vapeur et de la lampe à huile...
Veut-on réaliser, pour le Lyon-Turin, un projet au rabais, inefficace pour mieux préserver les projets autoroutiers ?
Est-ce la France de 2030 que veut bâtir Emmanuel Macron ?
Très clairement, avec ce sabordage du Lyon-Turin, l’État préserve la pertinence du projet d’un milliard d’euros du contournement autoroutier de Chambéry et l’élargissement de l’A43 entre la Tour du Pin et Chambéry pour un autre milliard d’euros !
Ceci est d’ailleurs très cohérent avec la nomination très clivante de Josiane Beaud, à la tête de la Commission Inter-Gouvernementale du Lyon-Turin. On ne l’a pas beaucoup entendue parler du Lyon-Turin à Chambéry, lors de sa vice-présidence aux Transports ces six dernières années. Elle n’a cessé, par contre avec Michel Dantin, de vouloir ressusciter le projet abandonné en 2014 de contournement autoroutier de Chambéry.
Ressusciter des projets autoroutiers abandonnés à la place de nouvelle ligne ferroviaire, c’est ce que vient de faire le Ministre des Transports avec le projet d’autoroute entre Poitiers et Limoges...
Est-ce la nouvelle politique du gouvernement pour répondre à ses engagements en termes d’émission de CO2 et de particules fines ?
Moins de 10 milliards d’euros pour la France tous les 150 ans pour une nouvelle infrastructure ferroviaire sous les Alpes, c’est trop demander au gouvernement ?
Pour la région parisienne, aucune restriction, l’argent coule à flot :
- la facture des nouvelles lignes du métro Grand Paris Express est passée de 22 milliards en 2013 à 35 milliards 4 ans plus tard, en portant le nombre de nouvelles gares à 68 au lieu de 52 initialement prévu.
Comme rien n’est assez beau pour la région parisienne, pas moins de 37 architectes, dont des stars internationales de l'architecture sont engagés pour la réalisation de ces gares.
https://www.vie-publique.fr/en-bref/277104-grand-paris-express-augmentation-des-couts
A noter que le nouveau RER EOLE de 4 milliards d’euros, en cours de réalisation, n’est pas inclus dans ce montant.
- pas un centime d’économie sur les 5 milliards du Canal Seine Nord, projet destiné à favoriser l’importation de produits asiatiques dans la région parisienne par les ports belges au lieu de celui du Havre et aucune restriction de gabarit à l’inverse du Lyon-Turin.
https://www.lantenne.com/Debut-des-travaux-imminent-pour-le-canal-Seine-Nord_a54546.html
- aucun retard n’est toléré par le gouvernement pour le projet de 2 milliards d’euros de la nouvelle ligne ferroviaire entre Paris et l’aéroport Charles de Gaule Express pour « éviter » aux clients de l’aéroport d’emprunter le RER B : celui-ci va faire appel de la décision du tribunal administratif.
La Suisse l’a fait.
A noter que la Suisse toute seule, petit pays de 8 millions d’habitants, vient de mettre en service et sans l’aide de l’Europe le tunnel de base du Ceneri après celui du Gothard et du Lotsberg ainsi que la mise au gabarit européen P400 de tous les accès pour diminuer fortement le nombre de poids-lourds qui traversent la Suisse dans l’Axe Nord-Sud (1,2 millions).
Sur l’axe ouest-est, entre la France et L’Italie, il passe aujourd’hui près de 3 millions de poids-lourds chaque année et certains « écologistes » comme Jean Charles Kohlhaas et dirigeant des lobbies autoroutiers comme Yves Crozet se demande encore à quoi pourrait servir le Lyon-Turin !
Il faut que :
- tous les élus locaux refusent le projet au rabais présenté par le Préfet et exigent le respect du projet acté dans l’enquête publique de 2012
- le gouvernement confirme à l’Europe la réalisation des accès pour 2030 et réponde favorablement à la proposition d’une subvention à hauteur de de 50 % sur le tunnel de base et des accès performants.
- les associations d’usagers des transports, les associations d’opérateurs ferroviaires et les syndicats ne soient plus tenus à l’écart et soient systématiquement invités aux réunions.
- l’Eurovignette Poids-Lourds Alpine et les milliards de bénéfices des sociétés d’autoroutes ,qui reviendraient à l’Etat à la fin des concession, participent au financement du Lyon-Turin et du contournement ferroviaire de Lyon, comme cela était suggéré dans le rapport Bouvard-Destot remis au gouvernement en 2015.
Pour cela, il faudrait qu’Emmanuel Macron ne rallonge pas, à nouveau, les concessions autoroutières.
Si ces deux conditions ne sont pas remplies en ce début d’année, nous militerons pour que Michel Barnier s’implique dans ce projet pour faire contre-poids au gouvernement et dégager un consensus parmi tous les élus de la Région.
En 2007, nous avions déjà apprécié son engagement pour une réalisation rapide des accès au Lyon-Turin en réponse à notre vive réaction au refus du premier Ministre, François Fillon, de demander une subvention de 200 millions à l’Europe pour le démarrage des accès au Lyon-Turin et au lancement, à la place de la galerie soi-disant de sécurité du tunnel routier du Fréjus d’un diamètre de 8 mètres pour 500 millions d’euros.
Annexe 1 Effondrement des Notav en Italie.
Alors qu’en 2018, le mouvement populiste 5 Etoiles, opposé au Lyon-Turin, avait remporté les élections législatives avec 32.7% des voix, il s’est effondré aux élections régionales de 2019 en réalisant 12.55% des voix dans le Piémont (Région dont Turin est la capitale).
Effectivement, tout le monde a pu s’apercevoir que le Ministre des Transports NOTAV, en un peu plus d’un an, a simplement bloqué l’avancement du projet Lyon-Turin et n’a pas mis un poids-lourds de plus sur le rail, malgré la rencontre avec les opposants français au Lyon-Turin, Daniel Ibanez et Eric Piolle, venus en Italie les rencontrer pour apporter leur soutien contre le Lyon-Turin et proposer leurs solutions « miraculeuses ».
Annexe 2 Comment provoquer la discorde sur le projet dans la Région Rhône-Alpes.
En demandant de choisir entre différentes composantes des accès au Lyon-Turin, les représentants du gouvernement étaient sûrs de semer la zizanie parmi les élus locaux :
- les élus de Haute-Savoie ont certainement dû demander la priorité au tunnel mixte sous Dullin-L ’Epine pour que leurs TGV et leurs TER aillent le plus vite possible à Lyon et Paris, sans passer par Chambéry, tout en demandant également un report massif des poids-lourds dans ce tunnel pourtant inadapté à un report massif.
- les élus de la majorité chambérienne ont certainement dû demander à ce que la priorité soit donnée également au tunnel sous Dullin-l’Epine pour que les TGV, en provenance d’Italie, passent par Chambéry, tout en demandant pour le trafic marchandises un tunnel sous Chambéry irréalisable à court et moyen terme car non prévu dans la DUP de 2012.
- les élus de l’opposition chambérienne ont certainement dû demander à ce que la priorité soit donnée au tunnel sous Chartreuse pour permettre un report massif du trafic poids-lourds sur le rail, tout en demandant, pour le trafic voyageur, un deuxième tube sous Chartreuse irréalisable à court et moyen terme car non prévu dans la DUP de 2012.
- les élus de la ville de Grenoble et de Lyon ont dû réitérer leur opposition au projet en affirmant une nouvelle fois que la ligne historique, qui traverse les villes d’Ambérieu, d’Aix les Bains et de Chambéry, pouvait accepter une centaine de trains de marchandises supplémentaire par jour, y compris le week-end, tout en refusant le moindre train supplémentaire de marchandises dans leur propre ville pour leur permettre d’augmenter le cadencement des TER. A noter qu’à l’inverse, ils sont très « conciliants » sur les élargissements des autoroutes autour de leur ville (A480 pour Grenoble et A46 pour Lyon).
Annexe 3 Accès au Lyon-Turin, seul tronçon entre Kief et Lisbonne pas au gabarit européen P400.
Avec le nouveau projet imposé par le gouvernement, les accès seraient toujours au gabarit GB1 et interdiraient le passage des trains européens au gabarit P400 et la mise en place d’autoroute roulante comme en Suisse et sous le tunnel sous la Manche. Nul doute que pour le transport international de marchandises (85% des poids-lourds passant au Mont-Blanc sont étrangers), les opérateurs ferroviaires n’investiront pas dans les couteux wagons spéciaux Modhlalor pour juste un tronçon français d’à peine 100 km.